La dramathérapie rééducative

Nouvelle discipline créée et utilisée au

Centre de Rééducation Fonctionnelle Champs Elysées à Evry

Article de Mathilde BOST

Introduction :

« La dramathérapie rééducative » est une pratique utilisant l’outil « théâtre », au sens large et en partie détourné de sa fonction première, pour travailler des objectifs de rééducation fonctionnelle et de reconstruction psychique et identitaire après un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien.

 

                Cette pratique existe depuis 2010 au Centre de Rééducation Fonctionnelle Champs Elysées à Evry. Psychologue clinicienne, thérapeute par l’art et metteur en scène, j’ai mis en place cette pratique et l’ai théorisé.

Inventer des personnages et des lieux pour mieux parler de soi :

Contrairement aux handicaps de naissance ou survenus après une longue maladie, le patient qui a subi un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral (AVC) n’a pas eu la possibilité de se « penser » handicapé au préalable. Il se retrouve alors dans un état de sidération, ne se reconnaissant pas lui-même dans la personne qu’il est devenu. L’individu se retrouve bouleversé dans son identité, mais aussi dans sa vie sociale, professionnelle, familiale, dans son environnement. Tout ce à quoi il croyait, aspirait, rêvait s’effondre.

Comment retrouver un sentiment d’identité ? Se projeter dans l’avenir ? Se reconstruire ?

 

                La « dramathérapie rééducative » s’est développée à partir d’un premier constat. Lors des séances de travail en théâtre, les participants en grande majorité s’identifiaient d’abord à des animaux (loup, requin, mouton, chien, crapaud, etc…), à des figures fantastiques ou imaginaires (dragon, Capitaine Crochet, loup garou, etc…), à des déformations d’eux-mêmes (vieillard, enfant). Et ces personnages étaient souvent abîmés, déformés (pattes cassées, blessé, baveux, errant, dents pointues, etc…). Ils ne parlaient jamais d’eux-mêmes comme de personnes singulières, mais comme des « malades » ( « Je suis traumatisé crânien »). Se définir, se raconter, c’était parler de soi depuis l’accident (« je suis au CRF depuis x… », « ça m’est arrivé ainsi… », etc.), comme si la « naissance » de ce nouvel individu avait eu lieu au moment de l’accident. Et qu’il n’y avait plus de lien entre l’individu d’aujourd’hui et celui d’hier.

 

Deux crapauds s’ennuient dans un grand palais abandonné. Ils baillent, se tapent la cuisse, soufflent, regardent leurs montres.

Crapaud 1 : On s’ennuie.

Crapaud 2 : Il n’y a rien à faire.

Crapaud 1 : On en a marre d’être crapaud.

Crapaud 2 : Moi je préfèrerais être un Prince Charmant.

Crapaud 1 : On a faim.

Extrait de « Une histoire de crapaud » – scène 1 – 2014

 

                Il est apparu également que les participants aux ateliers créaient des histoires ou des situations similaires, et cela depuis la création de l’atelier en 2010. Que des questionnements semblables étaient à l’œuvre et que ces questionnements avaient des conséquences sur la construction de l’individu, la réappropriation de son environnement et son investissement en rééducation.

 

Par exemple, les participants aux ateliers créent des histoires où ils se retrouvent dans un lieu ou un temps qu’ils ne comprennent pas et s’y sentent étrangers. Le lieu peut être une planète, une époque historique passée ou future, une île déserte, la lune, des souterrains, etc… et ce monde est peuplé de « créatures » qui leurs sont étrangères : lilliputiens, animaux, hommes d’une autre époque, bêtes fantastiques. Ces histoires sont un miroir du ressentis des patients après l’accident : se retrouver dans un monde qui leur paraît étranger, déroutant, qui ne correspond plus au monde d’avant. Il est transformé par leurs handicaps physiques et neurologiques. Les repères que chaque individu s’était construits sont effondrés.

 

On a pris un bus pour rentrer chez nous, mais on s’est trompé de bus. On est arrivé sur la base de lancement des fusées. Le bus est rentré dans la fusée. Et on est arrivé sur Vénus.

Sur Vénus, il n’y a pas de maladie, il n’y a pas de médecin, il n’y a d’argent, on fait du troc, il n’y a pas de travail, tout le monde fait tout, les animaux et les hommes vivent ensemble. 

Extrait de « Le voyage sur Vénus » – monologue d’introduction – 2011

 

                J’ai également constaté qu’un changement de lieu ou de personnage avait une incidence sur la prise en charge et l’investissement des autres rééducations pour les participants, mais également sur son rapport à son environnement social et familial.

 

M D., jouait le rôle du loup dans une piécette inspirée du Petit Chaperon Rouge. Pendant la première partie de sa prise en charge, il avait construit un masque de loup avec son ergothérapeute, poussait des cris de loup dans l’institution et investissait beaucoup l’atelier théâtre. Mais pour les autres rééducateurs, M D. avait la possibilité d’obtenir de meilleurs résultats : il n’y avait aucune barrière physique. Or un jour, en atelier théâtre, le loup s’est transformé en Don Juan grâce à un magicien. Il est redevenu homme et a épousé la grand-mère, transformée en belle jeune fille. Dans les jours qui ont suivi, M D. a progressé dans l’ensemble de ses rééducations et a envisagé des activités et des loisirs en dehors du CRF. Il communiquait beaucoup et ne poussait plus de cri de loup.  Par la suite, au domicile, M D. a réussi à développer une vie sociale et de loisirs.

 Ce même constat a pu par la suite se vérifier chez d’autres patients.

 

                Il existe donc une corrélation entre la représentation que le sujet se fait de lui-même et l’investissement qu’il a en rééducation, dans sa vie familiale et sociale. Et surtout dans la manière dont il va pouvoir réinvestir sa vie et son environnement à la sortie de sa prise en charge au CRF.

Modifier et travailler autour de cette représentation a donc plusieurs impacts : optimiser le travail réalisé en rééducation, pousser le sujet à réinvestir au maximum sa prise en charge et l’aider à réinvestir une vie sociale et familiale.

 

Chacun d’entre nous est arrivé ici chrysalide et est devenu papillon. Ce bel atelier théâtre étant un merveilleux cocon.

Un grand merci à l’atelier théâtre de nous avoir accompagnés dans ce voyage. Le papillon prendra son envol avec plus de facilité en étant passé ici. Un vol non dangereux.

« Magie et autres conséquences » - Préambule - 2016

 

                La voix, le vocabulaire et les intonations du thérapeute ont une grande importance dans la prise en charge. Ils participent à la construction du cadre.

                Quand le patient questionne le « qui suis-je ? », j’utilise un timbre de voix et des inflexions rassurants, enveloppants, presque maternels. La voix accompagne alors le patient à se sentir e confiance dans le groupe, avec le thérapeute et avec lui-même. Nous fabriquons ainsi ce que les patients ont bien résumé sous le terme de « chrysalide » : un espace étayant pour que le Sujet émerge.

 

                Puis la voix doit se modifier pendant la prise en charge, cassant la chrysalide pour que le papillon enfermé puisse prendre son envol. J’utilise une plus large palette d’inflexions vocales, se rapprochant de l’adresse quotidienne et mêlant humour et dérision. Nous évoquons directement la question du handicap, comme dans la chanson écrite en novembre 2016 : « Et maintenant, que vais-je faire / De tout ce temps que sera ma vie / De tous ces gens que j’indiffère / Depuis que je suis handicapé ». Et bien sûr nous avons répondu à la chanson par le théâtre, construisant des personnages et improvisant des scénettes.

Le théâtre pour apprendre à réutiliser son corps et ses autres fonctions :

                Au-delà du travail réalisé sur la représentation que le sujet se fait de lui-même, le théâtre est un outil pour travailler la rééducation et les matériaux utilisés permettent une synthèse des autres rééducations, donc un travail d’approfondissement et de vérification des acquis dans un autre contexte :

 

-          La communication : verbale et non verbale, l’articulation, la projection, le sens du mot et du geste, l’adresse au partenaire, la compréhension du discours de l’autre et la capacité d’y répondre de manière adaptée face à une situation donnée, la maitrise des émotions, la capacité à transmettre une émotion et comprendre celle du partenaire, la mise en mots sur le vécu et le ressenti à travers des situations dramatiques, l’adapter des émotions aux situations.

 

-          La motricité : à travers la manipulation des accessoires et des supports, travailler une motricité plus ou moins fine, manipuler des objets seul ou à plusieurs, appréhender les objets sur différents plans (au sol, à portée de main, en l’air).

 

-          L’espace et le temps : appréhender et utiliser un espace de jeu, respecter les obstacles, se déplacer dans un lieu donné en fauteuil, en marchant, au sol, prendre conscience de son corps dans un espace donné, de son schéma corporel, organiser le temps, pouvoir réaliser des actions sur un temps donné, rythmer ses actions, réduire le temps de réaction dans l’échange d’un dialogue avec des partenaires.

 

-          La mémoire : à court et long terme, se souvenir d’une situation, d’actions à réaliser dans un ordre donné, en utilisant des supports auditifs ou visuels, mais aussi olfactifs, spatiaux, aidé d’accessoires et à travers la répétition, apporter en atelier des éléments de son histoire personnelle qui sont ensuite réutilisés dramatiquement.

 

-          Élaboration d’une histoire construite et logique : penser le lien de cause à effet, construire des actions structurées et cohérentes, travailler son esprit de synthèse pour faire avancer l’action en évitant les redondances, construire des dialogues avec l’ensemble des partenaires, mémoriser des structures d’actions et en comprendre le sens.

 

-          Le groupe, l’Autre, Sujet actif et créateur : être en lien avec le partenaire dans le dialogue et l’émotion, affronter le regard extérieur et reprendre confiance en soi dans un groupe, partager des accessoires et un vécu, reprendre confiance en sa singularité en travaillant sur la prise d’initiatives, prendre des décisions, rendre chaque participant responsable d’une partie du travail (accessoires, scénographie, écriture, etc…). Le patient doit pouvoir retrouver du désir, de la créativité, qu’il va poursuivre dans son quotidien : s’habiller, manger, occuper sa journée, participer à des loisirs et réinvestir une vie sociale, c’est déjà une capacité de création.

 

-          Désinhibition et cadre : respecter un cadre avec des règles pour le groupe et le vivre ensemble, respect de l’espace et des partenaires, bienveillance, respect de la parole et du corps des partenaires, réapprendre pour les patients désinhibés les règles du vivre ensemble et du lien social.

 

 

Chaque participant à l’atelier a des objectifs rééducatifs qui lui sont propres et qu’il s’agit de travailler en séance avec trois objectifs :

 

-          Vérifier l’acquisition de ses capacités par le patient dans un contexte autre, en groupe

 

Le patient parvient-il à refaire spontanément, si on le met en condition, ce qu’il réalise par ailleurs ?

 

-          Evaluer si l’acquisition ou non-acquisition de ces capacités est liée au contexte

 

Cueillir des fleurs ou manipuler un accessoire donne une nécessité et un objectif pour réaliser l’action, et donc motiver davantage le patient à réaliser l’action. Il est important de pouvoir l’évaluer, le vérifier et donc de communiquer les résultats auprès des autres rééducateurs.

 

-          Étayer le travail réalisé en rééducation

 

Il s’agit de refaire du lien entre l’ensemble des rééducations pour une application globale, mais aussi d’utiliser les outils, les supports des autres rééducations pour les adapter : textes communs avec les orthophonistes, pâte à modeler, fabrication d’objets en ergothérapie qui sont ensuite utilisés en atelier théâtre, etc…

 

 

L’atelier théâtre a lieu une fois par semaine, avec des groupes de 3 à 7 patients (nombre défini en fonction des pathologies, du parcours de chacun).

 

Le déroulement d’un atelier théâtre type repose sur les séquences suivantes :

 

-          Travail d’échauffement centré sur un élément de rééducation

-          Construction et structuration de scènes : découper une scène en action, les mettre dans l’ordre

-          Improvisations à partir des structures proposées et des actions, puis répétition jusqu’à respecter la structure proposée dans les règles que nous avons définies ensemble

-          Ecriture des scènes et / ou des actions

-          Retours des participants sur leur propre travail

-          Perspective pour la semaine suivante et nouveaux objectifs à réaliser

 

 

Chaque atelier est lié au précédent et au suivant. Nous composons une histoire qui se poursuit sur plusieurs séances, qui se répète. Les thèmes de l’histoire sont choisis en fonction du parcours de chaque groupe, de chaque patient.

Les objets comme outils de passage entre l’imaginaire et le retour à la maison :

                    Le théâtre, au sens large, permet d’utiliser une grande palette d’outils.

                D’abord sur la forme : nous pouvons travailler avec des marionnettes, sur du conte, des scénettes avec des personnages, de la musique et de la danse. Il est possible de tout jouer : des êtres humains comme des animaux ou des choses.

                Tous les accessoires sont permis : des costumes, des accessoires de théâtre comme ceux liés au quotidien. Nous utilisons également tout ce qui peut permettre de mieux s’approprier l’histoire, étayer les participants, poursuivre un travail de rééducation : papiers, crayons, photos, pâte à modeler, Paperboard, instruments de musique, ordinateur, etc…

                Les outils utilisés sont choisis en fonction de trois objectifs : la singularité du groupe, les objectifs de rééducation définis pour chaque patient et les objectifs de reconstruction du sujet, et donc le type d’histoire à inventer.

 

                Chaque étape dans le processus de travail a ses propres outils et utilise des techniques qui lui sont propres.

 

 

1)     Travail sur les marionnettes :

 

A l’arrivée en atelier théâtre, il est important d’évaluer rapidement les figures de représentation de chaque patient, c’est-à-dire : quelle représentation le patient se fait-il de lui-même ?

Les marionnettes sont le meilleur outil d’évaluation : à doigts, à main ou à fils (pour que chaque patient puisse avoir un accessoire adapté à son travail de motricité et son handicap), représentant des hommes ou des animaux, le patient choisit et explore. Le fait que la marionnette est un objet extérieur, un tiers, permet de s’identifier facilement à elle.

Après l’évaluation, nous travaillons à modifier cette représentation au besoin jusqu’à passer à l’étape suivante.

 

 

2)     Travail de jeu à partir d’histoires fantastiques et imaginaires :

 

Dans cette 2ème partie, le participant joue un personnage. C’est dans cette partie du travail qu’arrive un rapport plus intime du patient avec lui-même et avec son environnement.

Les participants utilisent alors beaucoup le conte et le fantastique, non pas dans une perspective de rendre le travail enfantin ou ludique, mais parce que le conte regorge de situations et de leçons dont ils ont besoin de se saisir : par exemple, la déformation physique et le rapport à l’amour dans « La Belle et La Bête », le crapaud qui devient prince, le Petit Poucet perdu et abandonné dans la forêt qui doit retrouver son chemin, le Petit Chaperon Rouge dans sa confrontation avec le Loup, et même des histoires d’amours monstrueux, ou impossibles comme Roméo et Juliette, etc... A travers les thématiques des contes, les participants questionnent, élaborent autour de leurs propres histoires, mais en prenant un matériel qui leur est familier, qui appartient à leur enfance et qui aujourd’hui prend un autre sens, un autre éclairage. C’est un aller et retour entre le passé, le présent et le futur.

Dans cette 2ème partie se poursuit le travail de modification et de « transformation » des personnages pour qu’un lien se tisse chez chaque participant entre la personne qu’il a été, celle qu’il est aujourd’hui et celle qu’il veut devenir. Se penser dans le présent, sans mettre de côté le passé, et de créer le désir le construire un futur qui ait un sens. Tous les accessoires les plus fantastiques et les plus liés au spectacle vivant sont privilégiés.

 

 

3)     Préparer la sortie :

 

Durant cette étape de travail, il s’agira de préparer les patients à la sortie en les mettant face à des situations les plus concrètes possibles et en explorant la question du retour à domicile. Toujours de manière théâtrale, nous reconstruisons virtuellement des appartements, nous prenons les transports en commun, faisons les courses, préparons des menus et des repas, proposons des activités et des loisirs.

L’objectif est de favoriser le retour à domicile, la réinsertion sociale des patients, tout en explorant les possibilités dans un environnement ludique et protégé. Ils jouent ainsi leur propre rôle et celui des autres (la famille, le boulanger, le caissier, etc…). Le matériel et les accessoires sont alors adaptés, privilégiant des objets proches du quotidien, même si le plus souvent ils sont en modèle réduit en atelier (aspirateur jouet et vaisselle dînette par exemple).

 

 

                Dans l’idéal, la fin de la prise en charge globale du patient au CRF doit coïncider avec la fin de cette étape de travail.

Conclusion :

              L’atelier théâtre, tel qu’il a été imaginé et inventé pour le Centre de Rééducation Fonctionnelle Champs Elysées à Evry, est un outil à part entière qui travaille à la fois la rééducation, mais agit sur la représentation que le sujet a de lui-même, son investissement en rééducation et prépare une meilleure réinsertion vers le monde extérieur et l’environnement.

                C’est un outil de lien qui cherche à créer des passerelles avec l’ensemble des rééducations pour dynamiser le travail des patients et recréer du lien pour des sujets qui n’arrivent plus à en faire ni avec leur corps, ni dans leur tête. C’est un outil qui prend en compte le patient dans sa totalité, son passé et son histoire personnelle, son actualité et son devenir. C’est un outil qui tente de placer la singularité au cœur de sa recherche et de son processus.

 

Mathilde BOST, janvier 2017